Artisans et alphabétisation

Des artisans traversaient fréquemment le pont sur la Loire pour leur commerce ou pour prendre part aux marchés de la ville. Au XVe siècle, un nombre remarquable d’artisans participaient à la défense de la ville en veillant sur les murs, les portes et le pont. Malgré leur statut social et économique, ces hommes et ces femmes de l’artisanat participaient de plus en plus à la vie culturelle et aux débats intellectuels.
On prétend encore régulièrement que les artisans médiévaux ne savaient ni lire ni écrire et qu’au cours du Moyen Âge, le taux d’alphabétisation était particulièrement bas. C’est ce que semblent confirmer les études de l’alphabétisation au XVIIe et XVIIIe siècle, qui montrent qu’en France 33,3 % des hommes et 12,5 % des femmes étaient en mesure de signer leur contrat de mariage.
Cependant, des recherches plus récentes ont montré que l’alphabétisation ne progresse pas toujours de façon régulière et que la lecture et l’écriture étaient beaucoup plus répandues aux XVe et XVIe siècles qu’aux époques ultérieures, notamment dans les villes. Jehane Bernarde, l’artisane qui a servi de source historique pour le guide de l’application « Hidden Tours », possédait dix livres au moment de sa mort en 1516 et il y a de nombreuses raisons supposer qu’elle savait lire et écrire. Comme d’autres artisans, Jehane et son mari notaient eux-mêmes leurs ventes et leurs dettes dans un livre de comptes.
On retrouve la trace d’écoles destinées à la population urbaine dans la moitié nord de la France actuelle à partir du milieu du XIIe siècle Les jeunes enfants commençaient par suivre une ou plusieurs années d’enseignement primaire, qui comprenait l’apprentissage de l’alphabet et la lecture de prières telles que le Pater noster et l’Ave Maria. La langue française du Moyen Âge servait souvent de tremplin vers le latin, ce qui comprenait la lecture du Livre d’heures latin et l’apprentissage de la grammaire latine. L’arithmétique et la comptabilité pouvaient également faire partie du programme. Des documents provenant de Valenciennes, de Paris et de Tours montrent que des « maîtresses » étaient également actives dans l’enseignement primaire. Les élèves devaient généralement payer leur scolarité, mais la plupart des écoles disposaient d’un petit nombre de places gratuites pour des enfants pauvres. Ainsi, l’alphabétisation atteignait même les niveaux sociaux les plus bas des sociétés urbaines.
Les livres de la fin du Moyen Âge contiennent parfois des traces de lecture et d’écriture laissées par des lecteurs d’un passé lointain. Les Livres d’heures français comportaient souvent des espaces laissés blancs permettant aux lecteurs d’y ajouter eux-mêmes des textes supplémentaires. Il existe également des preuves montrant que les gens, y compris les artisans, copiaient parfois leurs propres livres. Une partie de la population est pourtant restée analphabète. Cela ne signifie pas pour autant que les analphabètes étaient exclus de la culture textuelle. Les textes religieux dans les langues vernaculaires d’Europe abondent en exhortations affirmant que l’illettrisme n’est pas une excuse pour rester ignorant et qu’on devait trouver quelqu’un capable de lire des textes à haute voix. De même, il était conseillé aux personnes alphabétisées de partager leurs livres et leurs connaissances avec les membres de leur famille, leurs proches et leurs voisins.
Un Livre d’heures fait à la main

Colinet Rolet a noté à l’encre rouge qu’il a copié lui-même ce Livre d’heures. La gravure collée près de ce texte représente le Saint-Esprit se répandant sur les apôtres et la Vierge Marie. Tous les livres de la fin du Moyen Âge n’ont pas été réalisés par un copiste professionnel. Les lecteurs médiévaux copiaient parfois eux-mêmes des textes pour leur propre usage. Dans de nombreux cas, il s’agissait d’une nécessité, afin de disposer d’une copie bon marché. Mais la copie manuelle de textes religieux était également perçue comme un exercice spirituel avec l’aide du Saint-Esprit.
Écrit par un chaussetier, fabricant de bas

Ce manuscrit de la Vie du Christ en français témoigne du niveau d’alphabétisation et de scripturalité des artisans. En 1467, un fabricant de bas du nom de Guillaume Meslant, vivant à Orléans écrivit sur la dernière page de son livre une notice ex-libris demandant à ceux ou celles qui le lui avaient emprunté de le lui rendre et de l’utiliser pour améliorer leur vie. Il s’agit du texte à l’encre brun clair au-dessous de l’inscription en rouge.
Margriet Hoogvliet
Références:
Paul Bertrand, Les écritures ordinaires. Sociologie d’un temps de révolution documentaire (entre royaume de France et Empire, 1250-1350), Paris, Éditions de la Sorbonne, 2015; online edition https://books.openedition.org/psorbonne/29449.
Alain Derville, “Alphabétisation du peuple à la fin du Moyen Age”, Revue du Nord 66 (1984) 761–76.
Sabrina Corbellini and Margriet Hoogvliet, “Writing as a religious lieu de savoir”, le Foucaldien 7 (1):4, DOI: http://doi.org/10.16995/lefou.92 Julie Claustre, Faire ses comptes au Moyen Âge : les mémoires de besogne de Colin de Lormoye, Paris, Les Belles Lettres, 2021.
Julie Claustre, Faire ses comptes au Moyen Âge : les mémoires de besogne de Colin de Lormoye, Paris, Les Belles Lettres, 2021.
