4. Les Franciscains

Les Franciscains et la théologie du travail artisanal

Le couvent des Franciscains de Tours faisait partie du paysage urbain depuis 1224, et était financé par les dons de la population laïque de la ville. Les Frères franciscains recevaient régulièrement des donations et des versements du conseil de la ville pour les sermons qu’ils prêchaient dans les rues et aux carrefours de la ville pendant le Carême. L’ordre des Frères Minimes, fondé par saint François de Paule, est une branche de l’ordre franciscain. Les Franciscains médiévaux cherchaient à améliorer l’éducation religieuse de la population urbaine et, pour les Frères eux-mêmes, adopter la pauvreté du Christ était un de leurs devoirs les plus importants.

Aucune communauté religieuse féminine n’a été fondée dans l’enceinte de Tours. Le Tiers-Ordre de Saint François, cependant, offrait aux femmes laïques de la ville la possibilité de vivre une vie religieuse sans prononcer les vœux de moniale. Par exemple, une femme laïque, la bienheureuse Jeanne-Marie de Maillé (1331-1414) mena une vie d’œuvres caritatives auprès des pauvres et des malades à Tours. Il est très probable que son exemple fut suivi par d’autres femmes de Tours, comme la femme laïque Perrine Gourdonne qui affirma dans son testament de 1502 qu’elle était Sœur du Tiers-Ordre de Saint François.

La place centrale accordée à la simplicité et à la pauvreté évangélique dans l’interprétation franciscaine des Évangiles a donné lieu à une réévaluation théologique du travail manuel. Les laïcs et le clergé étaient encouragés à se consacrer au travail manuel comme base de leur vie spirituelle. Un bon exemple de cette nouvelle théologie du travail manuel est l’enluminure représentant une famille d’artisans attribuée au célèbre peintre de manuscrits tourangeau Jean Bourdichon. Dans le poème accompagnant cette enluminure, l’artisan affirme qu’il est mieux loti que les riches et éthiquement supérieur à eux : « Je travaille pour éviter la pauvreté/ Ma femme file et donc Dieu nous donne ce dont nous avons besoin/ De cette manière nous vivons sans infidélité / Rien n’est meilleur que la voie du milieu » (Je travaille fuyant necessite/ Ma femme fille aincy dieu nous pourvoye/ Par se moyen vivons sans faucete/ Il nest cy bon que la moyenne voye, Paris, BnF, MS 2374, f. 1v-2v). Le fait que Bourdichon ait représenté un charpentier et sa famille est une référence indubitable à la Sainte Famille et au travail artisanal de Saint Joseph.

Le charpentier
Paris, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, Mn.mas. 92

L’image de Jehane, notre guide de l’application « Hidden Tours » provient de ce petit tableau attribué à Jean Bourdichon, célèbre peintre de manuscrits tourangeau. Le poème en français qui l’accompagne exprime la prise de conscience croissante des artisans de la fin du Moyen Âge de leur importance sociale et religieuse. Bourdichon s’est probablement inspiré de ses propres expériences de la société urbaine de Tours pour représenter cette femme. Jehane Bernarde était sans doute vêtue de la même façon que cette artisane, car l’inventaire de ses biens mentionne quatre robes brunes.

Suivre le Christ
Paris, Bibliothèque nationale de France, MS Français 2366, fol. 14r.

Ce dessin et le poème qui l’accompagne font référence à la parole du Christ « Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive » (Matthieu 16, 24). Ils font partie d’un petit livret provenant de la collection royale et contenant de la poésie et des dessins très proches du style de Jean Bourdichon. Les personnes représentées suivent toutes le message de l’Évangile : elles sont pauvres et portent leur propre croix. Le groupe comprend aussi quatre Frères franciscains. Dans le poème, l’artisan compare sa lourde charge de travail à la souffrance du Christ portant la croix, soulignant ainsi la valeur spirituelle du travail manuel.

Margriet Hoogvliet

Références:

Claire Mabire La Caille, “Evolution des enclos conventuels des mendiants à Tours (XIIIe-XVIIIe s.)”, Supplément à la Revue archéologique du centre de la France 1 (1981), pp. 13-72

Benoist Pierre, André Vauchez, eds., Saint François de Paule et les Minimes en France de la fin du XVe au XVIIIe siècle, Tours, Presses Universitaires François-Rabelais, 2020, pp. 181-198.

Margriet Hoogvliet, “Manual Labour and Biblical Reading in Late Medieval France”, Journal of Early Modern Christianity 6/2 (2019), pp. 277–297.